Retour à Killybegs

Bouleversant destin que celui de Tyrone Meehan. Cet homme élevé dans la misère et dans la haine des Britanniques par un père violent, nous raconte son histoire. Celle d’un militant de l’IRA tout à la fois héros et traitre de son peuple et de son idéal. Une histoire complexe sur fond de lutte entre catholiques et protestants dans un Belfast ravagé par un conflit sans fin. Malgré les attentats, les grèves de la faim, la prison et les excès de ce genre de guerre, nous entrons dans le petit monde des militants républicains où la solidarité, le devoir et la douleur ont forgé des hommes perdus pour une cause qui les dépassent parfois et qui les entraînent sur des chemins souvent douloureux. Grâce à sa belle écriture tout en nuances, l’auteur nous remue les tripes avec le destin Tyrone, le traitre qu’on ne peut décidément pas haïr.

Un livre très prenant, surtout pour qui s'est intéressant au conflit en Irlande du Nord. L'IRA, les loyalistes, le gouvernement britannique, le poids de l'histoire, les traditions. Et où l'on s'aperçoit qu'il n'y a pas de bonne guerre. Et qu'il est difficile de juger ce qui se passe. A lire !

Avec ce nouveau roman de Sorj Chalandon, le lecteur peut enfin refermer son histoire avec Tyrone Meehan, en tout cas se fut mon cas. Au fil de Mon traitre, il était devenu le mien aussi dans un certain sens et là je peux enfin lui pardonner. Je m’étais sentie trahie d’avoir rallié sa cause et surtout de mettre attachée à lui. Chalandon fait en sorte qu’on lui pardonne. Retour à Killybegs n’est pas la suite de Mon Traître, il est au contraire l’occasion pour le lecteur d’enfin découvrir la version de Tyrone Meehan, le traître. Sorj Chalandon lui donne ainsi la parole mais surtout il lui offre l’opportunité de justifier ou tout du moins d’expliquer son geste. L’auteur propose une version qui est la sienne mais qui au final fonctionne plutôt pas mal. Dans ce très beau roman, l’Irlande est de nouveau à l’honneur : ambiance, couleur, chaleur humaine, combats, IRA tout est fait pour que ce décor devienne un personnage à part entière de l’histoire. L’écriture reste fidèle à son roman précédent et j’ai enfin retrouvé tout ce que j’aime chez Chalandon : douceur de l’écriture mais violence de certains mots. Il n’y a jamais un mot trop. L’histoire se termine au bon moment et de la bonne manière puisqu’on ne voit rien tout est supposé.

Je le dis tout net, j'ai préféré ce roman au précédent "Mon traitre" du même auteur. Plus fouillé, plus détaillé, plus psychologique, également, ce roman nous fait entrer de plein pieds dans le conflit en Irlande du Nord. A sa lecture, on "sent" le climat de l'époque, les quartiers catholiques en lutte contre l'armée britannique ; on "vit" avec le narrateur la révolte des prisonniers nord-irlandais ; on "comprend" la traitrise du dit narrateur. "Mon traitre" était plus en retrait, plus "français", comme en dehors des événements. "Retour à Killybegs" nous plonge dans l'histoire de ce conflit. Mais que de désespérances dans ce roman : le père alcoolique qui meurt de froid en rentrant du pub ; la mère et ses 7 enfants obligée de se réfugier chez son frère en Irlande du Nord ; de ses 7 enfants, 6 ont immigrés ; la vie elle-même du narrateur qui est ballottée entre prison et attente des soldats anglais ; la vie de la femme de Tyrone qui a peur pour son mari et son fils. Au final, un engagement de toute une vie pour une armée qui rend les armes, des amis qui vous tournent le dos. Les images que je retiendrai : Celle de la solidarité des habitants qui cachent les tenues des jeunes brigades de l'IRA afin que le défilé puisse avoir lieu. Celle de la révolte des prisonniers nord-irlandais, couvert d'une couverture et barbouillant leur cellule de leurs excréments.

Un récit magnifiquement écrit, dans lequel je me suis tout de même un peu perdue mais qui m'a appris plein de choses sur l'IRA, les rapports entre Irlande du Nord et Eire, les opérations secrètes, bref, l'arrière-plan politique que je ne connaissais pas du tout. Un roman très riche mais dont je n'ai peut-être pas assez profité parce que je l'ai lu très lentement...

Voilà enfin la deuxième voix. Celle qui répond à Antoine, le narrateur de « Mon traître » paru en 2008. La voix du traître donc, Tyrone Meehan, leader de l'IRA et taupe des services britanniques pendant 20 ans. Il sera assassiné en 2006 sans que personne ne revendique sa mort. La fiction au service du réel ; Antoine/Sorj Chalandon, qui apprit la mort de Tyrone/Denis Donaldson pendant l'écriture de « mon traître » offre ici la confidence jamais reçue de cet homme engagé, abîmé par une guerre fratricide. Une histoire de cet ancien héros qui reviendra dans la maison de son enfance attendre sa fin, celle du corps, car Tyrone Meehan était déjà mort d'avoir trahi.

Sorj Chalandon donne la parole à celui qui fut "Mon traître". Une plongée dans le monde de l'IRA, de la lutte irlandaise, de l'honneur et de la traîtrise. On suit son héros dans l'intime de ses convictions, dans la complexité de son engagement. Difficile de bien maîtriser le contexte de cette guerre qui nous échappe, mais guider de l'intérieur par quelqu'un qui en a été un des acteurs principaux et qui finalement pour sauver sa famille, l'honneur de celle-ci acceptera de devenir un traître à la cause qui l'a guidé toute sa vie, on comprend mieux les années de lutte de cette population.