Retour







Les dernières notes et avis
Notes et avis 1 à 8 sur un total de 21
Terre et liberté. La quête d'autonomie contre le fantasme de délivrance
Avis posté le 2022-06-01
Qu'est-ce que la liberté ?
Avant d’aborder le livre en lui-même, il me semble intéressant d’évoquer le parcours de l’auteur. Aurélien Berlan avait déjà publié en 2012 le remarquable essai La Fabrique des Derniers Hommes (La Découverte) qui n’était autre que le texte remanié de sa thèse de philosophie. On apprend dans son nouveau livre, Terre et Liberté, que, juste après la remise de sa thèse, cet étudiant engagé, passé de l’altermondialisme à la critique de la société industrielle, veut fuir le statut de salarié-consommateur-électeur dans lequel la plupart d’entre nous s’enferme après leurs études et, pour cela, décide de prendre la clé des champs avec quelques amis pour vivre dans le Tarn. Depuis une dizaine d’années maintenant, il se partage entre activités collectives de subsistance, travaux à l’université, engagement politique et écriture de ce livre, Terre et Liberté.
La liberté, c’est ce qui semble avoir provoqué cet exode rural et le questionnement de l’auteur qui est à la base de son livre : en quoi cet exode l’a-t-il rendu plus libre ? Quelle conception de la liberté a-t-il fui ? Quelle conception de celle-ci recherchait-il ?
Engagé dans la lutte contre le désastre socio-écologique en cours, il va montrer dans ce livre que ce désastre est en grande partie la conséquence du concept de liberté dominant l’imaginaire politique depuis quelques centaines d’années maintenant et que, pour s’y opposer véritablement, il faut retrouver une autre conception de la liberté.
Pour sa démonstration, Berlan procède de manière claire et logique. Tout d’abord, il entreprend, à travers l’analyse de différents textes, la généalogie de la conception moderne de la liberté dont il souligne un paradoxe immanent. En effet, devenue dominante depuis le 18e siècle cette conception purement libérale et négative de la liberté est réduite à l’inviolabilité de la sphère privée. Seulement cette conception, qui a été théoriquement généralisée et intensifiée avec le développement de la civilisation industrielle, a été en même temps sapé par cette même civilisation et ses moteurs, à savoir : le salariat, la marchandisation, les médias de masse et aujourd’hui la révolution numérique.
Étant donné cela, qu’est-ce qui anime encore le concept moderne de liberté ?
Berlan entre là dans le cœur du livre en identifiant un autre pilier, plus fondamental, de la liberté moderne : ce qu’il appelle le fantasme de délivrance. Délivrance des obligations politiques (déjà bien analysée par Hannah Arendt) mais surtout délivrance matérielle des nécessités du quotidien c’est-à-dire cette capacité à faire faire à d’autres (humains ou robots) les tâches qui caractérisent notre humaine condition (produire sa nourriture, construire son habitat, prendre soin de ses proches,…).
Un des aspects originaux du livre est d’analyser l’importance de ce fantasme dans notre conception apolitique et extraterrestre de la liberté. Car, en effet, il est au cœur aussi bien de la liberté moderne que des aspirations à l’émancipation qui ont émaillé la société depuis la révolution industrielle. Ainsi, de Saint Simon jusqu’à Mélenchon, en passant par Marx bien sûr, toute une partie, dominante, de la gauche s’est nourrie de ce fantasme, emprisonnant encore plus les populations qu’elle défendait dans le carcan capitaliste. Or cette aspiration à la délivrance matérielle a des implications simples à comprendre. Si être libre c’est « faire faire » alors, pour paraphraser Orwell, « la liberté c’est l’esclavage » et l’Histoire en témoigne. De l’antiquité à nos jours, les classes dominantes ont toujours su se décharger, à l’aide d’un pouvoir personnel puis impersonnel, des nécessités du quotidien en exploitant les classes dominées (esclaves, femmes, paysans, ouvriers,…) et en exploitant et saccageant la nature à l’aide des moyens technoscientifiques modernes.
Dès lors Berlan réhabilite avec brio une autre conception de la liberté, qu’il appelle autonomie, et qui a animé le mode de vie de classes populaires tout au long de l’Histoire (des Diggers anglais du 17e siècle au mouvement zapatiste aujourd’hui). L’auteur souligne la récupération libérale qui a été faite du terme autonomie, individualisé et dépolitisé (cf. mouvement DIY, « makers », …) pour bien distinguer sa définition de l’autonomie. La sienne est sociale et collective et s’articule sur deux plans indissociables. Le plan politique d’abord où il s’agit de reprendre en main dans des collectifs à taille humaine la prise de décision concernant les affaires communes. Mais Berlan insiste surtout sur le plan matériel de l’autonomie où là aussi la dimension collective est essentielle car, si l’autonomie suppose de « faire soi-même », elle suppose surtout de « faire avec les autres ». Plus précisément, il s’agit de « pourvoir à ses propres besoins » (qui seront auto-limités) avec « ses propres moyens » (outils simples et à taille humaine) et avec « ses propres ressources » (celles du territoire habité). L’autonomie que Berlan dessine est, selon lui, la seule voie réaliste pour se libérer (collectivement) de notre dépendance à la Mégamachine industrielle (dont les trois têtes sont l’Etat, le Capital et la Science) et stopper l’exploitation des autres et de la nature que son bon fonctionnement suppose.
Avec cet essai percutant et stimulant, Aurélien Berlan signe un ouvrage riche d’analyses permettant de mieux saisir « dans quelle sorte de monde nous vivons » (Orwell). En cela, il réussit déjà, intellectuellement parlant, à desserrer l’étau industriel : première étape avant, on ne sait jamais, de prendre la clé des champs.
Avant d’aborder le livre en lui-même, il me semble intéressant d’évoquer le parcours de l’auteur. Aurélien Berlan avait déjà publié en 2012 le remarquable essai La Fabrique des Derniers Hommes (La Découverte) qui n’était autre que le texte remanié de sa thèse de philosophie. On apprend dans son nouveau livre, Terre et Liberté, que, juste après la remise de sa thèse, cet étudiant engagé, passé de l’altermondialisme à la critique de la société industrielle, veut fuir le statut de salarié-consommateur-électeur dans lequel la plupart d’entre nous s’enferme après leurs études et, pour cela, décide de prendre la clé des champs avec quelques amis pour vivre dans le Tarn. Depuis une dizaine d’années maintenant, il se partage entre activités collectives de subsistance, travaux à l’université, engagement politique et écriture de ce livre, Terre et Liberté.
La liberté, c’est ce qui semble avoir provoqué cet exode rural et le questionnement de l’auteur qui est à la base de son livre : en quoi cet exode l’a-t-il rendu plus libre ? Quelle conception de la liberté a-t-il fui ? Quelle conception de celle-ci recherchait-il ?
Engagé dans la lutte contre le désastre socio-écologique en cours, il va montrer dans ce livre que ce désastre est en grande partie la conséquence du concept de liberté dominant l’imaginaire politique depuis quelques centaines d’années maintenant et que, pour s’y opposer véritablement, il faut retrouver une autre conception de la liberté.
Pour sa démonstration, Berlan procède de manière claire et logique. Tout d’abord, il entreprend, à travers l’analyse de différents textes, la généalogie de la conception moderne de la liberté dont il souligne un paradoxe immanent. En effet, devenue dominante depuis le 18e siècle cette conception purement libérale et négative de la liberté est réduite à l’inviolabilité de la sphère privée. Seulement cette conception, qui a été théoriquement généralisée et intensifiée avec le développement de la civilisation industrielle, a été en même temps sapé par cette même civilisation et ses moteurs, à savoir : le salariat, la marchandisation, les médias de masse et aujourd’hui la révolution numérique.
Étant donné cela, qu’est-ce qui anime encore le concept moderne de liberté ?
Berlan entre là dans le cœur du livre en identifiant un autre pilier, plus fondamental, de la liberté moderne : ce qu’il appelle le fantasme de délivrance. Délivrance des obligations politiques (déjà bien analysée par Hannah Arendt) mais surtout délivrance matérielle des nécessités du quotidien c’est-à-dire cette capacité à faire faire à d’autres (humains ou robots) les tâches qui caractérisent notre humaine condition (produire sa nourriture, construire son habitat, prendre soin de ses proches,…).
Un des aspects originaux du livre est d’analyser l’importance de ce fantasme dans notre conception apolitique et extraterrestre de la liberté. Car, en effet, il est au cœur aussi bien de la liberté moderne que des aspirations à l’émancipation qui ont émaillé la société depuis la révolution industrielle. Ainsi, de Saint Simon jusqu’à Mélenchon, en passant par Marx bien sûr, toute une partie, dominante, de la gauche s’est nourrie de ce fantasme, emprisonnant encore plus les populations qu’elle défendait dans le carcan capitaliste. Or cette aspiration à la délivrance matérielle a des implications simples à comprendre. Si être libre c’est « faire faire » alors, pour paraphraser Orwell, « la liberté c’est l’esclavage » et l’Histoire en témoigne. De l’antiquité à nos jours, les classes dominantes ont toujours su se décharger, à l’aide d’un pouvoir personnel puis impersonnel, des nécessités du quotidien en exploitant les classes dominées (esclaves, femmes, paysans, ouvriers,…) et en exploitant et saccageant la nature à l’aide des moyens technoscientifiques modernes.
Dès lors Berlan réhabilite avec brio une autre conception de la liberté, qu’il appelle autonomie, et qui a animé le mode de vie de classes populaires tout au long de l’Histoire (des Diggers anglais du 17e siècle au mouvement zapatiste aujourd’hui). L’auteur souligne la récupération libérale qui a été faite du terme autonomie, individualisé et dépolitisé (cf. mouvement DIY, « makers », …) pour bien distinguer sa définition de l’autonomie. La sienne est sociale et collective et s’articule sur deux plans indissociables. Le plan politique d’abord où il s’agit de reprendre en main dans des collectifs à taille humaine la prise de décision concernant les affaires communes. Mais Berlan insiste surtout sur le plan matériel de l’autonomie où là aussi la dimension collective est essentielle car, si l’autonomie suppose de « faire soi-même », elle suppose surtout de « faire avec les autres ». Plus précisément, il s’agit de « pourvoir à ses propres besoins » (qui seront auto-limités) avec « ses propres moyens » (outils simples et à taille humaine) et avec « ses propres ressources » (celles du territoire habité). L’autonomie que Berlan dessine est, selon lui, la seule voie réaliste pour se libérer (collectivement) de notre dépendance à la Mégamachine industrielle (dont les trois têtes sont l’Etat, le Capital et la Science) et stopper l’exploitation des autres et de la nature que son bon fonctionnement suppose.
Avec cet essai percutant et stimulant, Aurélien Berlan signe un ouvrage riche d’analyses permettant de mieux saisir « dans quelle sorte de monde nous vivons » (Orwell). En cela, il réussit déjà, intellectuellement parlant, à desserrer l’étau industriel : première étape avant, on ne sait jamais, de prendre la clé des champs.

Ventres à louer. Une critique féministe de la GPA
Avis posté le 2022-05-22
Contre la reproduction artificielle de l'humain
Lorsqu’il est question du débat sur la Gestation pour autrui (GPA), il est de coutume de le résumer à une opposition entre, d’un côté, les défenseurs « progressistes » « de gauche » qui y voient une avancée dans les domaines du droit et de la liberté et, de l’autre côté, les conservateurs « de droite » qui y voient une menace contre un prétendu modèle familial traditionnel (papa – maman – bébé).
Dès lors critiquer la GPA vous range automatiquement dans le camp de la « Manif pour tous » », comme si aucune autre critique que réactionnaire n’était possible.
Ce livre, sous-titré « Une critique féministe de la GPA », vient heureusement démontrer le contraire en proposant une critique, féministe donc, mais surtout sociale et politique de la GPA s’opposant à la fois aux discours apologistes et aux critiques types « Manif pour tous » illégitimes car étant purement idéologiques.
Il ne s’agit pas dans ce livre de remettre en cause l’envie d’être parents des commanditaires de la GPA ou de discuter de leur légitimité à être parents mais bien plutôt de dépasser ce plan personnel pour passer au plan social et politique afin d’exposer les implications qu’a la GPA sur les principales personnes concernées, à savoir les femmes (mères porteuses) et les enfants nés de GPA.
Le constat des autrices est sans appel : la GPA cause des violences à la fois médicales, psychologiques, juridiques et économiques aux femmes et enfants impliqués. Multipliant les approches – théorique, historique, politique, scientifique et linguistique – les textes du livre se rejoignent sur une conclusion : la GPA est synonyme de marchandisation et technicisation des rapports humains et, en cela, doit être abolie.
Un des intérêts du livre est d’ailleurs de souligner que l’abolition de la GPA doit être un combat féministe. En effet, une partie du mouvement LGBT et queer défend un féminisme postmoderne qui soutient la PMA et la GPA au nom de la liberté et de l’autodétermination alors que, comme le rappelle Silvia Guerini dans le livre, la reproduction artificielle de l’humain est, en réalité, "la soumission de tous à un système technoscientifique" et, en particulier, l’exploitation des femmes avant de conclure :
« Nous sommes nés, non pas fabriqués, et nous sommes nés du ventre d’une femme »
Lorsqu’il est question du débat sur la Gestation pour autrui (GPA), il est de coutume de le résumer à une opposition entre, d’un côté, les défenseurs « progressistes » « de gauche » qui y voient une avancée dans les domaines du droit et de la liberté et, de l’autre côté, les conservateurs « de droite » qui y voient une menace contre un prétendu modèle familial traditionnel (papa – maman – bébé).
Dès lors critiquer la GPA vous range automatiquement dans le camp de la « Manif pour tous » », comme si aucune autre critique que réactionnaire n’était possible.
Ce livre, sous-titré « Une critique féministe de la GPA », vient heureusement démontrer le contraire en proposant une critique, féministe donc, mais surtout sociale et politique de la GPA s’opposant à la fois aux discours apologistes et aux critiques types « Manif pour tous » illégitimes car étant purement idéologiques.
Il ne s’agit pas dans ce livre de remettre en cause l’envie d’être parents des commanditaires de la GPA ou de discuter de leur légitimité à être parents mais bien plutôt de dépasser ce plan personnel pour passer au plan social et politique afin d’exposer les implications qu’a la GPA sur les principales personnes concernées, à savoir les femmes (mères porteuses) et les enfants nés de GPA.
Le constat des autrices est sans appel : la GPA cause des violences à la fois médicales, psychologiques, juridiques et économiques aux femmes et enfants impliqués. Multipliant les approches – théorique, historique, politique, scientifique et linguistique – les textes du livre se rejoignent sur une conclusion : la GPA est synonyme de marchandisation et technicisation des rapports humains et, en cela, doit être abolie.
Un des intérêts du livre est d’ailleurs de souligner que l’abolition de la GPA doit être un combat féministe. En effet, une partie du mouvement LGBT et queer défend un féminisme postmoderne qui soutient la PMA et la GPA au nom de la liberté et de l’autodétermination alors que, comme le rappelle Silvia Guerini dans le livre, la reproduction artificielle de l’humain est, en réalité, "la soumission de tous à un système technoscientifique" et, en particulier, l’exploitation des femmes avant de conclure :
« Nous sommes nés, non pas fabriqués, et nous sommes nés du ventre d’une femme »

Etre écoféministe. Théories et pratiques
Avis posté le 2022-05-13
Road-trip en terres écoféministes
Si ce livre se donnait comme projet de répondre à la question : qu'est-ce qu'être écoféministe? Alors, pari tenu! Et de la plus belle des manières! Jeanne Burgart-Goutal réussit en effet à faire de son livre une introduction vivante et critique à l'écoféminisme, que l'on pourrait grossièrement résumer comme un mouvement d'idées et de pratiques qui considère que "l'oppression des femmes et la destruction de la planète ne sont pas deux phénomènes distincts, mais deux formes de la même violence" (Mary Judith Ress).
Vivante car l'auteur nous emmène dans son propre voyage à la découverte de ce mouvement. Voyage d'abord théorique dans les écrits et les idées des principales autrices, qui se revendiquent ou non de l'étiquette écoféministe, depuis les débuts du mouvement dans les années 1970 jusqu'à aujourd'hui (Françoise d'Eaubonne, Maria Mies, Vandana Shiva, ...). Voyage, ensuite, sur le terrain des pratiques écoféministes dans divers lieux, en France et dans le monde, se revendiquant de l'écoféminisme.
Cette introduction est aussi critique, au sens de "faire le tri", dans la mesure où l'autrice rend bien compte de la richesse et de la complexité du mouvement, aussi bien, encore une fois, au niveau théorique que pratique. La formation philosophique de l'autrice lui permet d'appréhender cette richesse et cette complexité toujours de manière lucide et nuancée : avec pédagogie, les idées principales de l'écoféminisme sont restituées de manière claire et dans toutes leurs nuances ; les critiques externes habituellement adressées au mouvement sont décortiquées en regard des écrits fondateurs et des pratiques de terrain ; ces écrits et ces pratiques sont eux-mêmes sans cesse mis en regard et confrontés.
Finalement, si l'écoféminisme peut paraître fantaisiste à certains égards, ce qui compte, selon Jeanne Burgart-Goutal, "ce n'est pas la prétendue "scientificité" du discours mais la force symbolique, la puissance de mobilisation, la portée heuristique, l'appel de nouvelles contrées et de nouveaux imaginaires". Car le but de l'écoféminisme est bien de "changer de paradigme" pour faire advenir "un autre monde" où toutes les formes d'oppression seraient abolies.
Conclusion qui doit d'autant plus être soulignée qu'avec le revival de l'écoféminisme ces dernières années, une partie du mouvement a été récupéré par le "nouvel esprit du capitalisme" donnant naissance à un écoféminisme dépolitisé et "instagrammable". Il est donc important de rappeler qu'à l'origine, et c'est peut-être là l'aspect le plus intéressant du mouvement, l'écoféminisme s'est construit comme une critique du capitalisme patriarcal, du néo-colonialisme de l'économie globalisée et du réductionnisme de la technoscience moderne.
Si ce livre se donnait comme projet de répondre à la question : qu'est-ce qu'être écoféministe? Alors, pari tenu! Et de la plus belle des manières! Jeanne Burgart-Goutal réussit en effet à faire de son livre une introduction vivante et critique à l'écoféminisme, que l'on pourrait grossièrement résumer comme un mouvement d'idées et de pratiques qui considère que "l'oppression des femmes et la destruction de la planète ne sont pas deux phénomènes distincts, mais deux formes de la même violence" (Mary Judith Ress).
Vivante car l'auteur nous emmène dans son propre voyage à la découverte de ce mouvement. Voyage d'abord théorique dans les écrits et les idées des principales autrices, qui se revendiquent ou non de l'étiquette écoféministe, depuis les débuts du mouvement dans les années 1970 jusqu'à aujourd'hui (Françoise d'Eaubonne, Maria Mies, Vandana Shiva, ...). Voyage, ensuite, sur le terrain des pratiques écoféministes dans divers lieux, en France et dans le monde, se revendiquant de l'écoféminisme.
Cette introduction est aussi critique, au sens de "faire le tri", dans la mesure où l'autrice rend bien compte de la richesse et de la complexité du mouvement, aussi bien, encore une fois, au niveau théorique que pratique. La formation philosophique de l'autrice lui permet d'appréhender cette richesse et cette complexité toujours de manière lucide et nuancée : avec pédagogie, les idées principales de l'écoféminisme sont restituées de manière claire et dans toutes leurs nuances ; les critiques externes habituellement adressées au mouvement sont décortiquées en regard des écrits fondateurs et des pratiques de terrain ; ces écrits et ces pratiques sont eux-mêmes sans cesse mis en regard et confrontés.
Finalement, si l'écoféminisme peut paraître fantaisiste à certains égards, ce qui compte, selon Jeanne Burgart-Goutal, "ce n'est pas la prétendue "scientificité" du discours mais la force symbolique, la puissance de mobilisation, la portée heuristique, l'appel de nouvelles contrées et de nouveaux imaginaires". Car le but de l'écoféminisme est bien de "changer de paradigme" pour faire advenir "un autre monde" où toutes les formes d'oppression seraient abolies.
Conclusion qui doit d'autant plus être soulignée qu'avec le revival de l'écoféminisme ces dernières années, une partie du mouvement a été récupéré par le "nouvel esprit du capitalisme" donnant naissance à un écoféminisme dépolitisé et "instagrammable". Il est donc important de rappeler qu'à l'origine, et c'est peut-être là l'aspect le plus intéressant du mouvement, l'écoféminisme s'est construit comme une critique du capitalisme patriarcal, du néo-colonialisme de l'économie globalisée et du réductionnisme de la technoscience moderne.

Contre la résilience. A Fukushima et ailleurs
Avis posté le 2021-03-16
Un art de vivre dans un monde faux
Ces derniers mois, dans les rayons écologie des librairies, nous avions le triste choix entre Bill Gates (quel toupet !) ou le dernier charabia de Latour ou d’un de ses rejetons. Heureusement, Thierry Ribault vient relever le niveau avec un essai remarquable d’intelligence dans son projet de critiquer une notion ayant pénétrée, depuis quelques années, le domaine de l’écologie (après celui de la psychologie) à savoir : la résilience, que l’on pourrait grossièrement définir comme la capacité à surmonter un choc traumatique (dans le cas d’une personne) ou à retrouver une état d’équilibre après un événement exceptionnel (dans le cas d’un écosystème).
Mais Contre la résilience est d’abord un livre sur le désastre de Fukushima auquel l’auteur s’intéresse depuis 10 ans et qui fournit un contexte de départ pour sa critique de la résilience. Dans la continuité de son précédent livre Les Sanctuaires de l’abîme (écrit avec sa compagne Nadine et publié en 2012 aux éditions de l’Encyclopédie des Nuisances), cet essai rend compte longuement de toutes les facettes de la gestion du désastre qui a suivi la catastrophe nucléaire et qui se poursuit aujourd’hui. Une de ces facettes est la résilience mobilisée par les administrateurs du désastre (qu’ils soient des institutions publiques ou citoyennes) pour enjoindre la population à s’accommoder d’un monde contaminé, individualisant par-là les solutions à un problème en réalité impossible à résoudre. En effet, la radioactivité n’étant pas prête à disparaître du jour au lendemain, chacun est exhorté à « vivre avec » voire même à participer à sa surveillance et à la décontamination. Dans le cas de Fukushima, l’auteur dévoile aussi en quoi la résilience est soutenue par une « production d’ignorance organisée » consistant, non pas à cacher certaines connaissances, mais bien plutôt à en réduire le nombre sous prétexte d’une efficacité plus grande dans la gestion de la contamination au quotidien.
Cet essai prend de l’ampleur dès lors que l’enquête menée par l’auteur à Fukushima est doublée d’un travail théorique et critique dévoilant ce qu’est vraiment la résilience : idéologie de l’adaptation et technologie du consentement, elle est un pilier de la société industrielle dans laquelle, d’une part, les désastres passés, en cours et à venir sont sources de progrès et dans laquelle, d’autre part, les individus sont sommés de s’adapter, toujours focalisés sur les conséquences à surmonter du désastre (qu’il soit une catastrophe naturelle, un accident industriel ou encore un attentat par exemple) et, donc, ne se questionnant jamais sur les causes de ce désastre. Le danger de la résilience réside donc dans le fait que, sortant en apparence les individus de l’impuissance, elle les pousse en réalité à l’inaction.
Cet essai se veut d’autant plus intéressant que tout ce qui est décrit peut s’appliquer à la « crise sanitaire » en cours née de la pandémie du Covid-19. En effet, pendant que la résilience est convoquée à tout bout de champ dans la gestion des conséquences de cette pandémie, peu de monde (voire personne) ne s’est arrêté pour réfléchir et remédier aux causes de cette pandémie qui, dans tous les cas, semble liées au caractère industrielle de notre société.
On notera enfin le bon travail de l’auteur sur le style et l’écriture, mélange (parfois dense il faut le dire) de lucidité et d’humour grinçant, qui rappelle forcément les meilleurs ouvrages de critique sociale publiés il y a quelques années par Jaime Semprun et l’Encyclopédie des Nuisances et qui manque cruellement à une grande partie de la production contemporaine.
Ces derniers mois, dans les rayons écologie des librairies, nous avions le triste choix entre Bill Gates (quel toupet !) ou le dernier charabia de Latour ou d’un de ses rejetons. Heureusement, Thierry Ribault vient relever le niveau avec un essai remarquable d’intelligence dans son projet de critiquer une notion ayant pénétrée, depuis quelques années, le domaine de l’écologie (après celui de la psychologie) à savoir : la résilience, que l’on pourrait grossièrement définir comme la capacité à surmonter un choc traumatique (dans le cas d’une personne) ou à retrouver une état d’équilibre après un événement exceptionnel (dans le cas d’un écosystème).
Mais Contre la résilience est d’abord un livre sur le désastre de Fukushima auquel l’auteur s’intéresse depuis 10 ans et qui fournit un contexte de départ pour sa critique de la résilience. Dans la continuité de son précédent livre Les Sanctuaires de l’abîme (écrit avec sa compagne Nadine et publié en 2012 aux éditions de l’Encyclopédie des Nuisances), cet essai rend compte longuement de toutes les facettes de la gestion du désastre qui a suivi la catastrophe nucléaire et qui se poursuit aujourd’hui. Une de ces facettes est la résilience mobilisée par les administrateurs du désastre (qu’ils soient des institutions publiques ou citoyennes) pour enjoindre la population à s’accommoder d’un monde contaminé, individualisant par-là les solutions à un problème en réalité impossible à résoudre. En effet, la radioactivité n’étant pas prête à disparaître du jour au lendemain, chacun est exhorté à « vivre avec » voire même à participer à sa surveillance et à la décontamination. Dans le cas de Fukushima, l’auteur dévoile aussi en quoi la résilience est soutenue par une « production d’ignorance organisée » consistant, non pas à cacher certaines connaissances, mais bien plutôt à en réduire le nombre sous prétexte d’une efficacité plus grande dans la gestion de la contamination au quotidien.
Cet essai prend de l’ampleur dès lors que l’enquête menée par l’auteur à Fukushima est doublée d’un travail théorique et critique dévoilant ce qu’est vraiment la résilience : idéologie de l’adaptation et technologie du consentement, elle est un pilier de la société industrielle dans laquelle, d’une part, les désastres passés, en cours et à venir sont sources de progrès et dans laquelle, d’autre part, les individus sont sommés de s’adapter, toujours focalisés sur les conséquences à surmonter du désastre (qu’il soit une catastrophe naturelle, un accident industriel ou encore un attentat par exemple) et, donc, ne se questionnant jamais sur les causes de ce désastre. Le danger de la résilience réside donc dans le fait que, sortant en apparence les individus de l’impuissance, elle les pousse en réalité à l’inaction.
Cet essai se veut d’autant plus intéressant que tout ce qui est décrit peut s’appliquer à la « crise sanitaire » en cours née de la pandémie du Covid-19. En effet, pendant que la résilience est convoquée à tout bout de champ dans la gestion des conséquences de cette pandémie, peu de monde (voire personne) ne s’est arrêté pour réfléchir et remédier aux causes de cette pandémie qui, dans tous les cas, semble liées au caractère industrielle de notre société.
On notera enfin le bon travail de l’auteur sur le style et l’écriture, mélange (parfois dense il faut le dire) de lucidité et d’humour grinçant, qui rappelle forcément les meilleurs ouvrages de critique sociale publiés il y a quelques années par Jaime Semprun et l’Encyclopédie des Nuisances et qui manque cruellement à une grande partie de la production contemporaine.

La collapsologie ou l’écologie mutilée
1e édition
1e édition
Avis posté le 2020-11-17
De quoi la collapsologie est-elle le nom?
En 2015, dans le salutaire Désert de la critique, Renaud Garcia levait le voile sur les inconsistances des penseurs postmodernes, à l’époque nouvelles stars montantes de la critique sociale, désormais trop bien installés dans toutes les sphères de pouvoir (médiatique, universitaire, politique…). Bien installée aussi dans ces sphères depuis peu de temps, la collapsologie est le sujet de ce nouvel ouvrage qui vise à critiquer ce mouvement, non pas dans le registre de l’efficacité (ie ses constats et buts politiques) mais bien sur celui de la pensée.
Les deux principaux griefs formulés par l’auteur aux collapsologues sont la perte du sens du passé et donc du sens de la liberté. En effet, enfermés dans leur présentisme reposant sur la conviction que l’effondrement (mot plastique qui reste flou quant à ce qui va s’effondrer, l’éco-système ? le système thermo-industriel ?) est à court ou moyen terme certain, les collapsologues se dérobent à une analyse radicale de l’histoire et du présent de la société capitaliste et industrielle.
Au lieu de cela, la science de l’effondrement se double d’une collapsosophie, maelstrom thérapeutique mêlant ésotérisme, sagesse orientale et références cybernétiques, visant à gérer les passions négatives que la conscience d’un effondrement ferait naître chez certains, leur laissant présager un happy collapse à base de fusion avec la Terre-Mère et d’organisation scientifique de la vie après la catastrophe.
Au contraire, l’auteur porte dans ce livre la tradition de l’anti-industrialisme « celle de tous ceux qui s’honorent d’être nés et voient dans la nature le milieu même de la liberté, part plutôt du principe que le désastre est déjà là. » et que « c’est avec ce poids et dans ce contexte qu’il faut tenter de préserver, et transmettre, un art de vivre et de mourir. » (interview paru dans La Décroissance, octobre 2020).
En dehors des références à cette tradition anti-industrielle (Illich, Orwell, Mumford, …) on notera que cette critique est agréablement étayée par nombre de citations des collapsologues eux-mêmes ainsi de par des exemples pertinents tirés d’œuvres cinématographiques et littéraires, relevant notamment du genre de la science-fiction (John Brunner, J.G Ballard). Cette critique claire et argumentée d’une « écologie mutilée » s’adresse donc autant à ceux qui veulent se faire une idée sur cette mouvance récente qu’aux collapsologues eux-mêmes, pouvant trouver là de quoi susciter une nécessaire remise en cause s’ils veulent se prétendre écologistes.
En 2015, dans le salutaire Désert de la critique, Renaud Garcia levait le voile sur les inconsistances des penseurs postmodernes, à l’époque nouvelles stars montantes de la critique sociale, désormais trop bien installés dans toutes les sphères de pouvoir (médiatique, universitaire, politique…). Bien installée aussi dans ces sphères depuis peu de temps, la collapsologie est le sujet de ce nouvel ouvrage qui vise à critiquer ce mouvement, non pas dans le registre de l’efficacité (ie ses constats et buts politiques) mais bien sur celui de la pensée.
Les deux principaux griefs formulés par l’auteur aux collapsologues sont la perte du sens du passé et donc du sens de la liberté. En effet, enfermés dans leur présentisme reposant sur la conviction que l’effondrement (mot plastique qui reste flou quant à ce qui va s’effondrer, l’éco-système ? le système thermo-industriel ?) est à court ou moyen terme certain, les collapsologues se dérobent à une analyse radicale de l’histoire et du présent de la société capitaliste et industrielle.
Au lieu de cela, la science de l’effondrement se double d’une collapsosophie, maelstrom thérapeutique mêlant ésotérisme, sagesse orientale et références cybernétiques, visant à gérer les passions négatives que la conscience d’un effondrement ferait naître chez certains, leur laissant présager un happy collapse à base de fusion avec la Terre-Mère et d’organisation scientifique de la vie après la catastrophe.
Au contraire, l’auteur porte dans ce livre la tradition de l’anti-industrialisme « celle de tous ceux qui s’honorent d’être nés et voient dans la nature le milieu même de la liberté, part plutôt du principe que le désastre est déjà là. » et que « c’est avec ce poids et dans ce contexte qu’il faut tenter de préserver, et transmettre, un art de vivre et de mourir. » (interview paru dans La Décroissance, octobre 2020).
En dehors des références à cette tradition anti-industrielle (Illich, Orwell, Mumford, …) on notera que cette critique est agréablement étayée par nombre de citations des collapsologues eux-mêmes ainsi de par des exemples pertinents tirés d’œuvres cinématographiques et littéraires, relevant notamment du genre de la science-fiction (John Brunner, J.G Ballard). Cette critique claire et argumentée d’une « écologie mutilée » s’adresse donc autant à ceux qui veulent se faire une idée sur cette mouvance récente qu’aux collapsologues eux-mêmes, pouvant trouver là de quoi susciter une nécessaire remise en cause s’ils veulent se prétendre écologistes.

Orwell, à sa guise. La vie et l'oeuvre d'un esprit libre
Avis posté le 2020-11-06
Introducing Orwell
George Orwell avait demandé, sentant la fin de sa vie approcher, qu’aucune biographie retraçant sa vie ne soit écrite. Georges Woodcock, ami intime de l’auteur anglais à partir de 1942, le savait très bien et c’est pourquoi « Orwell à sa guise » n’est pas une biographie à proprement dite mais plutôt une étude critique de l’œuvre d’Orwell mêlée d’éléments biographiques venant enrichir cette étude.
Alors qu’Orwell n’a jamais été autant cité par tous et toutes au sein des milieux intellectuels, politiques et médiatiques, ce livre vient rappeler à tout ce beau petit monde qu’Orwell n’est pas que l’auteur des seuls Ferme des Animaux et 1984, sommets d’une œuvre entièrement riche, tant dans la forme que dans le fond. Au fil des chapitres, Woodcock analyse chronologiquement les six romans, les trois reportages et les quelques grands essais écrits par Orwell, n’oubliant jamais de mentionner les faiblesses de ces œuvres et rappelant toujours les aspects de la vie et de la personnalité d’Orwell susceptibles d’éclairer ses analyses. De ces dernières, Woodcock dégage, de manière pertinente, ce qui fait la cohérence de l’écrivain et de son œuvre : Orwell est avant tout un moraliste pamphlétaire qui n’a cessé, dans tous ces ouvrages, de traiter de l’aliénation.
Ce portrait littéraire d’un écrivain politique est justement complété dans les derniers chapitres par l’évocation des idées politiques qui animaient Orwell et de l’importance qu’il accordait à la manière de les transmettre. Ici encore, Woodcock souligne ce qui fait l’originalité d’Orwell sur le plan politique, à savoir une position à la fois socialiste (au sens libertaire du terme) et conservatrice dans laquelle on considère que tout progrès technologique et économique n’est pas forcément synonyme de progrès humain et social, ce-dernier étant celui qu’il faut rechercher. Orwell disait vouloir d’ailleurs favoriser une « société libre, égale et décente ». Cela l’inscrit, à mon sens, dans une tradition que l’on pourrait nommer anti-industrielle aux côtés, entre autres, de ses contemporains Simone Weil, Georges Bernanos ou encore Jacques Ellul et Bernard Charbonneau et de ses ancêtres compatriotes William Morris et John Ruskin.
Salutaire à bien des égards, ce livre est une excellente porte d’entrée dans l’œuvre et la vie d’un homme « en quête de la vérité parce qu’il savait qu’elle seule pourrait assurer la survie de la liberté et de la justice », à ranger à côté des excellents essais (réédités aussi en ce mois d’octobre 2020 aux éditions Climats) que lui a consacrés Jean-Claude Michéa.
Pour lire Orwell dans le texte, on préférera, à la récente et prétentieuse édition des œuvres incomplètes d’Orwell en Pléiade, les très beaux ouvrages édités il y a quelques années par les éditions Ivrea (https://www.furet.com/editeur/Ivrea+editions).
George Orwell avait demandé, sentant la fin de sa vie approcher, qu’aucune biographie retraçant sa vie ne soit écrite. Georges Woodcock, ami intime de l’auteur anglais à partir de 1942, le savait très bien et c’est pourquoi « Orwell à sa guise » n’est pas une biographie à proprement dite mais plutôt une étude critique de l’œuvre d’Orwell mêlée d’éléments biographiques venant enrichir cette étude.
Alors qu’Orwell n’a jamais été autant cité par tous et toutes au sein des milieux intellectuels, politiques et médiatiques, ce livre vient rappeler à tout ce beau petit monde qu’Orwell n’est pas que l’auteur des seuls Ferme des Animaux et 1984, sommets d’une œuvre entièrement riche, tant dans la forme que dans le fond. Au fil des chapitres, Woodcock analyse chronologiquement les six romans, les trois reportages et les quelques grands essais écrits par Orwell, n’oubliant jamais de mentionner les faiblesses de ces œuvres et rappelant toujours les aspects de la vie et de la personnalité d’Orwell susceptibles d’éclairer ses analyses. De ces dernières, Woodcock dégage, de manière pertinente, ce qui fait la cohérence de l’écrivain et de son œuvre : Orwell est avant tout un moraliste pamphlétaire qui n’a cessé, dans tous ces ouvrages, de traiter de l’aliénation.
Ce portrait littéraire d’un écrivain politique est justement complété dans les derniers chapitres par l’évocation des idées politiques qui animaient Orwell et de l’importance qu’il accordait à la manière de les transmettre. Ici encore, Woodcock souligne ce qui fait l’originalité d’Orwell sur le plan politique, à savoir une position à la fois socialiste (au sens libertaire du terme) et conservatrice dans laquelle on considère que tout progrès technologique et économique n’est pas forcément synonyme de progrès humain et social, ce-dernier étant celui qu’il faut rechercher. Orwell disait vouloir d’ailleurs favoriser une « société libre, égale et décente ». Cela l’inscrit, à mon sens, dans une tradition que l’on pourrait nommer anti-industrielle aux côtés, entre autres, de ses contemporains Simone Weil, Georges Bernanos ou encore Jacques Ellul et Bernard Charbonneau et de ses ancêtres compatriotes William Morris et John Ruskin.
Salutaire à bien des égards, ce livre est une excellente porte d’entrée dans l’œuvre et la vie d’un homme « en quête de la vérité parce qu’il savait qu’elle seule pourrait assurer la survie de la liberté et de la justice », à ranger à côté des excellents essais (réédités aussi en ce mois d’octobre 2020 aux éditions Climats) que lui a consacrés Jean-Claude Michéa.
Pour lire Orwell dans le texte, on préférera, à la récente et prétentieuse édition des œuvres incomplètes d’Orwell en Pléiade, les très beaux ouvrages édités il y a quelques années par les éditions Ivrea (https://www.furet.com/editeur/Ivrea+editions).

Le Pèlerin
Avis posté le 2020-10-13
Poésie ornithologique
A l’heure où le nature writing a plus que le vent en poupe, les éditions Jose Corti ont eu la très bonne idée de rééditer, dans l’excellente collection Biophilia, le Pèlerin de John Alec Baker. Si ce dernier n’avait sûrement pas conscience qu’écrire sur la nature deviendrait un genre à part entière, prisé par de nombreux auteurs (la plupart mettant d’ailleurs rarement les mains dans la terre), il n’en demeure pas moins un des plus dignes et honnêtes représentants. En effet, si le livre se présente comme le « journal » d’un naturaliste tenu sur quelques mois (d’octobre à avril), il est en réalité le fruit de plus de dix ans d’observations ornithologiques, par l’auteur, des terres qui environnaient sa maison.
Si, à première vue, la forme du journal peut laisser supposer, à la lecture, des répétitions des mêmes choses vues et des informations triviales, il n’en est rien ici. En effet, l’écriture de Baker repose sur un lyrisme et une poésie si subtile que n’importe laquelle de ses descriptions de paysages et d’oiseaux est d’une rare beauté. Si les décors (paysages du Sud-Est de l’Angleterre) et les acteurs (faucons pèlerins, choucas, ramiers, mouettes…) du spectacle qu’il observe sont toujours les mêmes, les mots qu’utilise Baker pour les décrire, eux, ne le sont jamais.
Baker sait nous emmener dans ses voyages immobiles, nous replantant le décor et nous représentant les acteurs chaque jour différemment. C’est un plaisir de l’accompagner dans cette nature stable et ordinaire, à la recherche de l’événement extraordinaire qui viendra enchanter l’instant. Son principal objet d’observation est le faucon pèlerin qu’il ne cesse de chercher et de suivre, parfois sur plusieurs kilomètres. Baker, en bon naturaliste, décrit ses manières de chasser, de tuer, de voler, les endroits qu’il aime fréquenter et va même jusqu’à essayer de pénétrer la psyché de cet oiseau auquel il s’identifie souvent, les deux partageant un certain goût de la solitude.
Ce récit est enfin l’occasion pour nous, lecteurs de 2020, de mesurer l’étendue des dégâts faits aux populations d’oiseaux. Peut-on, encore aujourd’hui, observer quelque part ces milliers d’oiseaux ensemble qu’observait Baker à côté de chez lui ? Ce dernier évoque les ravages du DDT, traitement chimique agricole, interdit depuis, sur les populations de pèlerins. Depuis, toutes les espèces d’oiseaux, et d’autres animaux, ont vu leur nombre décroître de manière vertigineuse sous les assauts de la civilisation industrielle. Ce texte est, d’une certaine manière, un témoignage nostalgique de ce que cette civilisation industrielle nous a fait perdre, donc, en même temps, un appel à (ré)agir contre cette civilisation.
A l’heure où le nature writing a plus que le vent en poupe, les éditions Jose Corti ont eu la très bonne idée de rééditer, dans l’excellente collection Biophilia, le Pèlerin de John Alec Baker. Si ce dernier n’avait sûrement pas conscience qu’écrire sur la nature deviendrait un genre à part entière, prisé par de nombreux auteurs (la plupart mettant d’ailleurs rarement les mains dans la terre), il n’en demeure pas moins un des plus dignes et honnêtes représentants. En effet, si le livre se présente comme le « journal » d’un naturaliste tenu sur quelques mois (d’octobre à avril), il est en réalité le fruit de plus de dix ans d’observations ornithologiques, par l’auteur, des terres qui environnaient sa maison.
Si, à première vue, la forme du journal peut laisser supposer, à la lecture, des répétitions des mêmes choses vues et des informations triviales, il n’en est rien ici. En effet, l’écriture de Baker repose sur un lyrisme et une poésie si subtile que n’importe laquelle de ses descriptions de paysages et d’oiseaux est d’une rare beauté. Si les décors (paysages du Sud-Est de l’Angleterre) et les acteurs (faucons pèlerins, choucas, ramiers, mouettes…) du spectacle qu’il observe sont toujours les mêmes, les mots qu’utilise Baker pour les décrire, eux, ne le sont jamais.
Baker sait nous emmener dans ses voyages immobiles, nous replantant le décor et nous représentant les acteurs chaque jour différemment. C’est un plaisir de l’accompagner dans cette nature stable et ordinaire, à la recherche de l’événement extraordinaire qui viendra enchanter l’instant. Son principal objet d’observation est le faucon pèlerin qu’il ne cesse de chercher et de suivre, parfois sur plusieurs kilomètres. Baker, en bon naturaliste, décrit ses manières de chasser, de tuer, de voler, les endroits qu’il aime fréquenter et va même jusqu’à essayer de pénétrer la psyché de cet oiseau auquel il s’identifie souvent, les deux partageant un certain goût de la solitude.
Ce récit est enfin l’occasion pour nous, lecteurs de 2020, de mesurer l’étendue des dégâts faits aux populations d’oiseaux. Peut-on, encore aujourd’hui, observer quelque part ces milliers d’oiseaux ensemble qu’observait Baker à côté de chez lui ? Ce dernier évoque les ravages du DDT, traitement chimique agricole, interdit depuis, sur les populations de pèlerins. Depuis, toutes les espèces d’oiseaux, et d’autres animaux, ont vu leur nombre décroître de manière vertigineuse sous les assauts de la civilisation industrielle. Ce texte est, d’une certaine manière, un témoignage nostalgique de ce que cette civilisation industrielle nous a fait perdre, donc, en même temps, un appel à (ré)agir contre cette civilisation.

L'été grec. Une Grèce quotidienne de 4000 ans
Avis posté le 2020-05-05
Balade hellène
"Il ne faut pas confondre les livres qu'on lit en voyage et ceux qui font voyager". Cette phrase signée André Breton est mise en exergue de L'Été Grec, livre qui appartient plutôt à la seconde catégorie.
Relatant les multiples séjours que Jacques Lacarrière effectua en Grèce entre 1947 et 1966, ce livre est à la fois un voyage dans l'espace et dans le temps. Du mont Athos aux îles grecques en passant par Epidaure, le flâneur qu'est Lacarrière brosse le portrait presque romantique d'une Grèce et de son peuple pas encore encore envahie par l'horreur touristique.
Lire l'Été Grec, c'est aussi percevoir ce qui fait l'essence du voyage et de la manière de le partager aux autres. Car Jacques Lacarrière est l'exact opposé du voyageur contemporain à savoir l' "instagrammeur-voyage". Tandis que l'un collectionne les pays à la mode ("j'ai fait tel pays, j'ai fait tel autre, ..."), l'autre revenait plusieurs fois dans le pays dont il était tombé amoureux avant même d'y mettre les pieds. Tandis que l'un suit les routes balisées reliant aéroports, hôtels et sites touristiques ne croisant que ses alter ego touristes, l'autre se déplaçait au rythme de la marche et bénéficiait de l'hospitalité des gens ordinaires rencontrés sur le chemin. Enfin, tandis que l'un expose son voyage à coups de photos retouchées et standardisées, l'autre utilisait les mots et la prose pour nous faire ressentir sons, odeurs, goûts et matières.
On ne s'étonnera pas que ce livre soit un des titres marquants de la collection Terre Humaine dont l'esprit est de retenir "toute approche qui contribue à une plus large intelligence de l'homme".
"Il ne faut pas confondre les livres qu'on lit en voyage et ceux qui font voyager". Cette phrase signée André Breton est mise en exergue de L'Été Grec, livre qui appartient plutôt à la seconde catégorie.
Relatant les multiples séjours que Jacques Lacarrière effectua en Grèce entre 1947 et 1966, ce livre est à la fois un voyage dans l'espace et dans le temps. Du mont Athos aux îles grecques en passant par Epidaure, le flâneur qu'est Lacarrière brosse le portrait presque romantique d'une Grèce et de son peuple pas encore encore envahie par l'horreur touristique.
Lire l'Été Grec, c'est aussi percevoir ce qui fait l'essence du voyage et de la manière de le partager aux autres. Car Jacques Lacarrière est l'exact opposé du voyageur contemporain à savoir l' "instagrammeur-voyage". Tandis que l'un collectionne les pays à la mode ("j'ai fait tel pays, j'ai fait tel autre, ..."), l'autre revenait plusieurs fois dans le pays dont il était tombé amoureux avant même d'y mettre les pieds. Tandis que l'un suit les routes balisées reliant aéroports, hôtels et sites touristiques ne croisant que ses alter ego touristes, l'autre se déplaçait au rythme de la marche et bénéficiait de l'hospitalité des gens ordinaires rencontrés sur le chemin. Enfin, tandis que l'un expose son voyage à coups de photos retouchées et standardisées, l'autre utilisait les mots et la prose pour nous faire ressentir sons, odeurs, goûts et matières.
On ne s'étonnera pas que ce livre soit un des titres marquants de la collection Terre Humaine dont l'esprit est de retenir "toute approche qui contribue à une plus large intelligence de l'homme".