Chroniques de Jérusalem

Québécois, Guy Delisle a suivi son épouse envoyée pour un an à Gaza pour Médecins Sans Frontières. Comme en Birmanie où il l’avait accompagnée aussi, il pensait pouvoir travailler ses projets de bandes dessinées. Il n’y fera que des croquis et des repérages ; s’occupant plutôt des enfants et remettant son travail à plus tard, quand il sera de retour en France. Il arpente donc la ville sainte, cette ville multiculturelle et bourrée de contradictions, traversées de frontières religieuses, politiques, ethniques et sociales. Il raconte le conflit israélo-palestinien dans le quotidien de la vie, au gré de ses rencontres et de ses aventures : la traversée du mur pour se rendre à Ramallah, Naplouse, Bethléem, la rencontre de Bédouins qui doivent reculer devant la construction des colonies, les attentes aux check-points… De mois en mois, de situations absurdes en événements tragiques, il nous emmène à la découverte d’un univers complexe où il est vain de porter un jugement à l’emporte-pièce. Là-bas, tout est sec, c'est de la pierre, le désert n'est pas loin. La mise en couleur de Lucie Firoud rend bien cette atmosphère. Et l'album a un air de carnet de croquis au rythme soutenu, comme les découvertes de l'auteur. Un ouvrage plein de fraîcheur, d’humour et de lucidité qui raconte avec simplicité et pédagogie une situation dure, injuste, violente mais aussi la tendresse et l’émerveillement. Ne cherchez pas une analyse politique de la situation, mais le point de vue d’un homme qui y a séjourné une année et met en scène sur un ton intimiste ses souvenirs et expériences de terrain. Il se pose en observateur candide, parfois naïf et commente, comme s’il se parlait à haute voix, avec humour et autodérision. Cela rend un peu plus légères certaines situations graves ou absurdes qui minent le quotidien des habitants de là-bas.

De check point en check point, des quartiers ultra-orthodoxes aux territoires occupés, sur des lieux sacrés, mutiques témoins de ségrégation et de droits bafoués, Guy Delisle nous entraine en plein cœur de la Terre Promise. Je veux aller, au pied du Mont Sion, à Son pied qui m'a montré à côté de la colline où nous étions encore, nous étions remplis d'amour et nous allons être là encore… Jerusalem. (I want to go, to the foot of Mount Zion to the foot of He who made me see to the side of a hill blood was spilt we were filled with a love and we're going to be there again… Jerusalem, U2 With a shout) Assez loin des clichés et des idées reçues, dans un graphisme épuré, l'auteur en pur athée nous fait voyager dans ses terres chargées d'histoire et de religiosité, nous fait découvrir de jeunes palestiniens avides de contempler le monde mais aveuglés par les murs de séparation bien loin des lamentations, où les grillages suspendus qui entravent leur avenir. On visite la vieille ville et son mur des Lamentations, Tel-Aviv et son coté cosmopolite, la mer morte où le jardin des oliviers. Bien loin du pèlerinage organisé par les différents dogmes, on découvre le microcosme de Mea Shearim où le temps et la vie s'égrènent au rythme et au gré de la Torah, tandis qu'à Hébron l'on marche sous les grillages pour éviter les pluies d'objets dévidés par les colons. Un premier éclairage sur une situation inextricable, un voyage en terre originelle, bien loin de la fraternité prônée par ces religieux.

Avec sensibilité, drôlerie, pudeur et étonnement, Guy Delisle nous guide dans les dédales d'une ville tentaculaire, vivante et vibrante aux sons des âmes multiples qui l'habite. La plume toujours légère, révèle des thèmes complexes et des idées vibrantes. A travers une couleur unifiée, l'auteur nous montre avec beaucoup de justesse et un immense talent la ville telle qu'il l'a découverte, telle qu'il l'a ressentie. Une plongée vers l'inconnu, entre tendresse et déraison, pour un album unique, emplit de sensibilités. Une oeuvre intéressante ! http://art-enciel.over-blog.com/article-chroniques-de-jerusalem-de-guy-delisle-106486358.html